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Une production locale pour l’indépendance sanitaire

30/04/2020

La crise du coronavirus rend incontournable de repenser un tissu industriel performant et compétitif en Europe. Il faut garantir la sécurité d’approvisionnement en médicaments essentiels pour la santé des citoyens de l’Union tout en assurant le meilleur niveau de qualité, de sécurité et de respect de l’environnement. Cette relocalisation doit s’appuyer sur la modernisation et le développement des sites industriels existants sur nos territoires et sur les compétences et savoir-faire de nos entreprises.

Relocaliser la production de médicaments en france et en europe

Entretien avec Pierre Luzeau, CEO de Seqens.    

Aujourd’hui, la relocalisation fait les titres des journaux mais quels sont les faits ? Au début des années 2000, 80% de la production de médicaments était encore localisée en Europe. Aujourd’hui, c’est seulement 20%, un chiffre stupéfiant. La délocalisation des usines en Asie a été particulièrement brutale et forte sur la partie amont de la chaîne de valeur pharmaceutique qui correspond à la production de précurseurs, de matières premières réglementées puis de principes actifs. Cette perte de souveraineté est donc factuelle et justifie une réflexion sur une relocalisation des productions. En revanche, il ne faudrait pas que la loi de Murphy s’applique en bâtissant une surcapacité en Europe qui détruirait en retour notre industrie. Il faut donc élaborer les conditions permettant une relocalisation compétitive en utilisant les meilleures technologies disponibles pour assurer la sécurité des procédés et la réduction de l’impact environnemental.

Asprine

Qu’est-ce qui explique cette délocalisation ?

Ce qui a conduit à la délocalisation, c’est la pression à la baisse des prix. Produire en Europe ce sont de exigences sur la qualité et l’environnement plus importantes qu’en Chine ou en Inde. Sans parler du social, c’est évident. Ces exigences sont normales et doivent impérativement être maintenues mais elles représentent des coûts qui ne sont pas supportés par nos concurrents asiatiques. Finalement, nous avons favorisé nos concurrents asiatiques et détruit en grande partie notre tissu industriel, devenu largement virtuel. Il est important de rappeler notre responsabilité collective de ce naufrage industriel. Celle des citoyens et des gouvernements en cherchant à faire des économies sur des systèmes de santé toujours plus coûteux, les grands laboratoires à la recherche de matières premières les moins chères possibles, les industriels européens qui se sont désengagés de pans entiers de la chaîne de valeur de moins en moins rentables… Mais la disparition de l’amont de la chaine de valeur a eu une conséquence plus grave : des ruptures de stocks de médicaments. En 2015, l’ANSM faisait état de 391 signalements alors qu’il n’y en avait pratiquement aucun au début du siècle. Ces ruptures sont passées à 893 en 2018 et, avec la crise du coronavirus, le sujet s’est encore aggravé.

Quels sont les messages que vous souhaitez adresser à tous ?

Tout d’abord que la chaine de valeur du médicament est complexe, souvent mal comprise, et qu’il est donc important de faire preuve de pédagogie pour bien expliquer les causes racines de ces ruptures de médicaments. Personnellement, je considère que la difficulté d’accès à la matière active ou au précurseur d’un principe actif est la principale cause de ces ruptures et que des solutions simples pour y remédier existent. Il faut d’abord moderniser et développer le tissu industriel existant en France et en Europe, celui qui a su résister au désengagement industriel et qui est constitué essentiellement d’ETI et de PME. Elles sont toujours là aujourd’hui et elles représentent donc la solution. Chez Seqens, nous continuons à fabriquer ces matières premières essentielles dans plusieurs de nos usines en France mais aussi ailleurs dans l’Union Européenne, et nous sommes l’un des rares acteurs français intégrés de la sorte en amont. Nous sommes aussi un des leaders européens dans la fabrication de solvants pour la pharmacie, produits tout aussi cruciaux pour réaliser des synthèses.  

Une telle relocalisation pourrait avoir un coût considérable…

Je ne crois pas du tout, bien au contraire. L’idée n’est pas de tout relocaliser, mais probablement de favoriser les chaînes les plus critiques, de moderniser les sites existants et de soutenir le développement rapide de procédés innovants, compétitifs et moins impactant pour l’environnement. Ceci permettrait de rapatrier quelques technologies clés. Les équipes de notre Seqens’Lab à Porcheville travaillent par exemple sur la mise au point de procédés en continu qui permettent de réduire considérablement l’impact sur l’environnement et d’améliorer la sécurité des procédés. La biocatalyse est aussi un autre axe interne d’innovation pour nos clients. Ne nous trompons pas, il est évident que toute relocalisation entraînera un coût supplémentaire mais celui-ci est absolument minime pour les consommateurs que nous sommes : sur une pilule à 1 € achetée en pharmacie, la part du principe actif est compris entre 1 et 5 centimes d’euro. Si éviter des ruptures de médicaments et la sécurité sanitaire, assurer la pérennité d’une industrie stratégique en la modernisant ne coûte qu’un centime d’euro par pilule sur certains médicaments critiques alors que doit-on en déduire ?

Est-ce que les pouvoirs publics sont sur la bonne voie pour favoriser le rapatriement de la production en Europe ?

Un exemple : avec la crise du coronavirus et le manque de certaines matières actives, l’Union Européenne a été amenée à faire pression diplomatique sur l’Inde qui avait décidé unilatéralement de fermer ses frontières afin de favoriser l’approvisionnement de ses propres laboratoires pharmaceutiques en matière active. La diplomatie n’est évidemment pas une solution de long-terme et une prise de conscience existe sans aucun doute et heureusement. Les solutions pratiques sont maintenant à élaborer et à mettre en place.

Aujourd’hui, il existe entre 60 et 80 usines de chimie fine en France. Cela signifie-t-il qu’il faudrait en construire de nouvelles pour relocaliser des capacités ?

Comme je vous l’ai dit, les usines existent sur le territoire et nous serions capables de répondre pour l’essentiel aux besoins complémentaires de production sur des sites existants. En revanche, face à la concurrence asiatique, le prix de vente des principes actifs ne permet pas aux industriels du secteur d’être rentables, de réinvestir dans leurs outils industriels et les moderniser : c’est une variable essentielle et il faut trouver les moyens d’enrayer cette dynamique. Ainsi, une meilleure répartition de la valeur entre les acteurs de la chaîne, un investissement particulier sur les acteurs existants qui ont su résister au désengagement industriel des années passées et un appui pérenne et fort des pouvoirs publics pour inverser les tendances actuelles seront nécessaires.

Combien de temps cela pourrait-il prendre pour retrouver cette souveraineté ?

Les pouvoirs publics souhaitent formuler des solutions concrètes et rapides et c’est bien. Ce qui est certain, c’est que nous sommes dans ‘le temps long’ pour la mise en place des solutions en raison des délais importants de qualification et d’approbations, caractéristiques de nos métiers. Mais il faut donc démarrer au plus tôt et c’est aujourd’hui que doivent être envoyés les bons signaux pour enfin inverser la tendance et recréer le tissu industriel performant et respectueux de l’environnement dont nous avons besoin.

Propos recueillis par Sylvie Latieule, journaliste Info Pharma / Chimie Hebdo

Article à retrouver dans son intégralité sur le site info-chimie.fr
Linkedin :  Sylvie Latieule / Twitter : @IPM_Pharma