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Paracétamol : Entretien avec Robert Monti

18/05/2020
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Alors que des laboratoires pharmaceutiques continuent à distribuer des boites de médicaments contenant du paracétamol en France, le principe actif, c’est-à-dire la matière active chimique, n’est plus produite dans l’Hexagone depuis 2008. Le Français Seqens est le dernier acteur européen du paracétamol et de son précurseur, mais aussi l’un des grands acteurs mondiaux grâce à ses deux usines chinoises de classe mondiale. Le groupe garde le contrôle de la destination de ses productions, lesquelles sont dédiées quasi exclusivement au marché français et européen. Et il a la volonté de redémarrer une production en Europe, si la pression exercée sur les prix pouvait se relâcher.

ENTRETIEN AVEC ROBERT MONTI, DIRECTEUR GÉNÉRAL ESSENTIAL DRUG SUBSTANCES CHEZ SEQENS.

Robert Monti
Robert Monti, Directeur Général de Seqens Essential Drug Substances

Pouvez-vous présenter le marché du paracétamol  ?

Le paracétamol est l’une des molécules les plus vendues au monde. Le marché est estimé à 180 000 tonnes par an, ce qui est plutôt conséquent pour une matière active pharmaceutique. Le taux de croissance varie de 2 à 3 % par an selon les régions du monde. C’est un marché qui se caractérise par sa grande intensité concurrentielle, en raison d’une forte pression sur les prix, initiée dans les années 2000, et qui a conduit à une des délocalisations les plus massives de l’industrie européenne vers l’Asie.

Dans quelles zones géographiques est donc produit le paracétamol ?

Il y a trois grands pays qui concentrent l’essentiel de la production mondiale. Les acteurs sont aujourd’hui principalement chinois et indiens avec respectivement 50 % et 30 % des capacités mondiales. Les Etats-Unis sont le seul pays historiquement producteur à avoir réussi à conserver environ 15% des capacités mondiales autour de son producteur national. En Europe, il n’y a plus de production de paracétamol. Notre groupe français est le dernier acteur européen du paracétamol et de son précurseur mais aussi l’un des grands acteurs mondiaux, même si nous produisons ces deux molécules en Chine.

Le paracétamol est une activité que nous avons rachetée en 2011 à Rhodia, quatre ans après la malheureuse fermeture de l’unité de Roussillon en Isère. Nous comprenons que c’est la pression sur les prix qui avait amené le groupe Rhodia à délocaliser sa production en Chine et à démanteler les capacités françaises de production. Lorsque nous avons acquis cette activité, toute la production avait déjà basculé en Asie. En revanche, Seqens a su fortement développer ses activités sur le site de Roussillon, du phénol aux solvants de spécialités en passant par les précurseurs et les intermédiaires pour la production d’aspirine.

Pouvez-vous donner quelques détails sur votre outil de production chinois ?

Nous possédons deux usines en Chine. L’usine de Wuxi, qui produit du paracétamol. Toute proche, l’usine de Taixing produit le précurseur, le para-aminophénol, obtenu à partir de para-nitrophénol, lui même issu de PNCB (p-nitrochlorobenzène), une matière de base qui est achetée à des producteurs locaux. Cette usine a été acquise en 2013 pour assurer une intégration en amont et sécuriser ainsi l’accès à la matière première et maitriser toute la chaine de valeur. Avec son unité de Taixing, Seqens est le 2e producteur mondial de PAP : nous fournissons 35% des besoins mondiaux de cette molécule, essentiellement en Chine et en Inde puisque les Etats-Unis sont déjà intégrés en amont.

Est-ce que le paracétamol est une activité stratégique et rentable pour Seqens ?

Seqens se positionne comme un leader mondial intégré de la synthèse pharmaceutique et des ingrédients de spécialité. Et, au même titre que nos autres molécules propriétaires (comme l’aspirine, la kétamine et toutes nos autres références catalogues de principes actifs et d’intermédiaires pharmaceutiques) ou la fabrication à façon (le custom manufacturing), le paracétamol est une activité stratégique pour Seqens.

En revanche, ce n’est pas une activité suffisamment rentable du fait d’une concurrence très agressive et de la pression sur les prix qui continue d’éroder les marges. Or cette activité nécessite des investissements constants en matière de HSE et de qualité pour le respect des GMP. Et c’est toute la complexité de ce métier. Nous devons investir pour être au rendez-vous des exigences des autorités réglementaires et de nos clients, tout en apportant de la sécurité au niveau des procédés pour nos personnels et pour la préservation de l’environnement. Dans le même temps, il y a cette forte pression exercée sur les prix qui est peu compréhensible quand on sait que la part de la matière active dans le prix du produit fini représente sensiblement moins de 5 %.

Comment sortir de cette situation ?

D’une part, il faut espérer que tous les acteurs du paracétamol vont finir par se mettre au bon niveau en matière environnementale, de sécurité et de qualité. D’autre part, il faut une prise de conscience des acheteurs que l’on ne peut pas continuer ainsi si l’on veut sécuriser des approvisionnements fiables et pérennes en produits de qualité. Avec la crise du Covid-19, il y a eu une très forte hausse de la demande et nous avons su réserver l’essentiel de notre production au marché européen (80 à 90 %). Rien qu’en France, nous fournissons 40% du paracétamol commercialisé par nos grands clients.

Néanmoins avec la crise du coronavirus, n’avez-vous pas connu des difficultés pour approvisionner le marché européen ?

Il y a effectivement eu une grosse tension sur la chaine d’approvisionnement. Il y a eu un choc de la demande qui était en hausse, et un choc de l’offre en forte baisse. Depuis quelques semaines, l’Inde a fermé ses frontières et il n’y a plus d’exportations de paracétamol, alors que l’Inde abrite 30% des capacités mondiales. Les autorités en tireront probablement des leçons pour notre industrie. En ce qui nous concerne, la mise en place de nos plans de continuité nous a permis de ne pas avoir de rupture de fournitures et de livrer tout à fait normalement nos clients, et ce, malgré le pic de demande et les difficultés de flux logistiques. Nous avons su nous adapter.

Dans ce contexte difficile de tension sur les prix, est-il pertinent de parler d’une relocalisation de la production de paracétamol en Europe ?

Avec la crise actuelle du coronavirus, l’idée de relocaliser certaines matières actives commence à faire son chemin. Seqens soutient les 10 mesures clés proposées par le Sicos Biochimie en faveur d’une relocalisation/réindustrialisation du secteur de la chimie fine en France. La question pourrait aussi se poser pour le paracétamol si l’on souhaite sécuriser une production en Europe. Si cela devait se faire, nous n’imaginons pas un rapatriement de nos capacités chinoises car nous avons des sites de classe mondiale dans lesquels nous avons beaucoup investi.

En revanche, nous disposons aussi d’un outil industriel important en France avec 14 sites de production sur le territoire. Nous maîtrisons la technologie et la matière première en amont. Notre Seqens’ Lab de Porcheville a des compétences en R&D avec la capacité d’améliorer encore nos procédés. Nous avons toujours beaucoup investi en Europe, et en particulier en France (environ 500 M€ depuis la dernière crise), et nous sommes prêts à aller plus loin. Néanmoins nous devrons être suivis par de grands donneurs d’ordre du paracétamol, ceux souhaitant disposer d’une matière active fabriquée en Europe, dont ils pourront valoriser la provenance sur leurs boites de médicaments.

Sylvie Latieule – Journaliste Info Pharma / Chimie Hebdo